La seule anecdote que je possède à propos du redoutable Fléau remonte à un temps fort lointain. A l'époque, et cela fait bien quelques dizaines d'années, j'avais trouvé refuge et demeure dans une vieille auberge réputée pour son horrible cervoise à en décrocher la mâchoire d'un troll. Bien évidemment, même la population enivrée de cette vieille bicoque avait déjà eu ouïe du Fléau des barbus, cette boisson légendaire dont on ne croyait à peine l'existence. La région que j'habitais avait en effet la particularité d'abriter le plus sceptique de tous les nains. Aucun exploits, aucun héros ne semblaient pouvoir détourner son attention. De nature courageuse, j'avais parié la moitié d'une bourse d'or que je pouvais réussir à intriguer le concerné. La taverne était remplie du plancher au plafond lorsque je pris le pari en main. Le vieux barbus, la main sur l'oreille pour mieux entendre, ne broncha pas lorsque je lui déballa les moult aventures que je sortais du fond de mon crâne. Mais, après un temps, il ne répondit que faiblement par un "Meh" d'indécision, me notifiant ainsi qu'il n'avait qu'à peine écoute mes fadaises. Quelque peu vexée, je me décida alors à jouer ma dernière carte: je lui conta l'histoire de la plus grande des bières ambrées, ce Fléau qui avait tué plus d'un brave.
"Meh", m'avait-il répondu.
Poussée à bout, je fis un geste au tavernier afin qu'il ramène ce qui semblait être une sorte de soupe d'alcools des plus infectes. C'était un liquide verdâtre, plein de bulles, et en plissant les yeux, on pouvait même apercevoir des petits os d'animaux flottant au fond de la peinte. C'était peut-être un peu ragoutant, mais je n'avais vraiment pas envie de perdre ne serait-ce qu'un sou. Je lui fis donc comprendre que j'allais boire le célèbre Fléau et que, à en juger de mon courage, les Anciens Seigneurs des cavernes m'épargneraient à coup sûr. C'était bien évidemment un coup monté des plus fourbes pour récupérer mes quelques pièces d'or. Je bus donc le breuvage cul-sec. Si le dégoût me fit pâlir, le nain afficha une tête amusée lorsque le son de la choppe vide résonna sur le bois de la table. Le vieillard fit alors à nouveau signe au tavernier, qui ramena le double!
"Pff, facile", m'étais-je dit en enchaînant la seconde. Après tout, j'avais toujours gagné les concours de boisson.
Seulement, cette fois là, je fis un tour complet et tomba à terre. Six mois de coma. Lorsque je me réveillai, je n'avais plus vraiment d'or et plus vraiment de boulot. J'appris plus tard que j'avais bu une peinte entière du Fléau des Barbus et, ne m'y attendant pas, avait défié à la boisson le plus grand des héros des cavernes. Qui s'avérait être aussi complètement sourd.
Néanmoins, pour une morale plus héroïques, je fus élue présidente six mois plus tard, confirmant ainsi qu'avec du travail on peut récupérer tout ce que l'on a perdu. Non non, le rêve amérinain n'est pas qu'un songe lointain.